“Un peu de silence, s'il vous plaît ! Si vous êtes ici, c'est que vous avez été recalés à l'examen sur celui qu'on nomme le Maître de Providence, bref, Howard Philips Lovecraft.
Par le Dr Fansworsth Ambrose Bright“Un peu de silence, s'il vous plaît ! Si vous êtes ici, c'est que vous avez été recalés à l'examen sur celui qu'on nomme le Maître de Providence, bref, Howard Philips Lovecraft. Je supposerai donc que pour tout ce qui se rapporte à cet écrivain mythique, vous êtes des cancres, des ignorants. Et il est de mon devoir de vous remettre dans le droit chemin...”
Dr Fansworsth Ambrose Bright, Ph.D. Miskatonic, Litt. D Harvard, est professeur de métaphysique médiévale et président de la chaire de littérature fantastique américaine de la période 1890-1937, à l'université de Miskatonic, Arkham, Mass.Article paru dans les n°1-2 de Tentacules.
Bien, alors je suppose que vous avez au moins lu l'article qui lui est consacré dans le livre de base de l'Appel. Considérons alors que oui. Je parlerai donc de tout ce qui n'a pas été dit dans ce fameux article. Je parlerai donc de l'homme, sa vie, sa personnalité..., avec moults détails et où je tenterai de raccorder certains éléments biographiques à la genèse du Mythe.
I) Sa vie
I) 1) Une enfance presque normaleAutant tout de suite aller à l'essentiel, j'éviterai donc de parler de la rencontre des deux parents. Bon donc puisqu'il y a un début à tout, Howard Phillips Lovecraft est né le 20 août 1890, à Providence, capitale fédérale de l'Etat de Rhode Island, une ville qui encore aujourd'hui garde un charme colonial certain. Le premier événement marquant dans la vie de Lovecraft intervient en mars 1893 lorsque son père, Winfield Scott Lovecraft est interné au Butler Hospital (l'asile d'aliéné de Providence) suite a un accès de démence. Dès lors, Howard et sa mère, Susan Phillips, habiteront chez le père de cette dernière : Whipple Phillips. A partir de ce moment, Lovecraft évoluera dans un milieu aisé, son grand-père ayant plutôt bien réussi. De cet environnement familial, Howard se fera sa propre conception du gentleman, une vision un peu particulière, mais nous y reviendrons plus tard...
Pour l'instant, revenons sur le petit Howard, Nous sommes en 1895, il a cinq ans, lorsque dans le grenier de la grande demeure du 454 Angell Street (tiens, tiens...), il découvre un vieil exemplaire des Mille et Une Nuits. Cette lecture va le fasciner, si bien qu'il va déclarer se convertir à l'Islam et se surnommera à cette occasion Abdul Alhazred, un nom de sa propre invention, qui viendrait peut-être du nom propre Hazard, une vieille famille du Rhode Island. Par chance, Lovecraft possède une excellente mémoire, et lorsqu'il faudra donner un nom à l'auteur du plus blasphématoire des ouvrages, il puisera dans ses nombreux souvenirs d'enfance. (Au passage, cela démontre qu'heureusement le Necronomicon est fictif...). Encore une date importante, janvier 1896, période à laquelle le petit Howard va réaliser un acte qui bouleversera sa vie : il écrit son premier conte, La Petite Bouteille de Verre, un texte de longueur de moins de 200 mots. La même année, sa grand-mère maternelle, Robbie Phillips, décède.
Bon, alors si vous avez suivi jusqu'ici, vous vous souvenez que le père de Lovecraft avait été interné dans un asile d'aliénés. Il y décédera le 19 juillet 1899, mais cet événement ne semble pas avoir trauMATISÉ LE PETIT HOWARD. VOUS ! LÀ, AU FOND, OUI VOUS ! ! Si ça ne vous plaît pas, vous pouvez toujours partir, ce n'est pas moi qui aurez à répondre aux questions des joueurs. Bien, où en étais-je ? Ah oui, la mort de son père. C'est l'automne de la même année que Lovecraft va découvrir les bancs de l'école, mais sa santé étant fragile, il n'y restera qu'un an. Il fera ensuite sporadiquement quelques années scolaires, jusqu'à abandonner définitivement en 1908. Il essaiera ensuite l'université mais sans y arriver. Il regrettera cela toute sa vie car il n'aura pas pu apprendre un métier (Il faisait des études scientifiques). Mais, le fait qu'il n'aille pas à l'école ne l'empêche pas d'étudier, en effet, il reçoit des cours à domicile et passe une grande partie de son temps libre à lire. C'est dans toutes ses lectures qu'il découvrira la civilisation romaine et sa mythologie, ainsi que sa passion pour l'Angleterre ("God Save The King !" devait-il s'écrier à maintes reprises). Il explore aussi la littérature fantastique et notamment son écrivain préféré : Edgar Allan Poe. En 1903, Lovecraft fait une découverte qui sera déterminante pour son œ ;uvre à venir : l'astronomie. Il s'y intéressera toute sa vie et fera régulièrement des observations avec le petit télescope que lui a offert sa mère. Chez les Phillips, la vie continue donc paisiblement.
Enfin, tout est paisible jusqu'au 28 avril 1904, date à laquel le grand-père maternel de Lovecraft, Whipple Phillips meurt. C'est le début du déclin financier de la famille, Howard, sa mère Susan, et ses deux tantes, tante Annie (Mrs Edward Francis Gamwell) et tante Lilian (Mrs Franklin Chase Clark). Ils sont obligés d'abandonner la grande maison du 454 Angell Street (aujourd'hui 194 Angell Street), pour emménager dans un petit 5 pièces situé au rez-de-chaussée d'une maison du 598 de la même rue. Ce déménagement sera très mal vécu par Lovecraft qui ne se considère désormais plus chez lui. 1904 à 1909, est une période où Lovecraft écrit divers essais, articles pour la presse locale, poèmes et nouvelles.
En guise de conclusion, on peut dire que l'enfance de Lovecraft aurait pu être presque normale, si il avait eu un vrai père, mais nous avons vu que ce dernier ne lui a pas trop manqué. Ce qui l'a vraiment pénalisé, c'est l'absence de scolarité normale (d'où une certaine réclusion), et une certaine surprotection maternelle.
I) 2) Le gentleman de Providence
De 1909 à 1913, Lovecraft vit reclus chez lui passant son temps à lire. Il ne fera rien de significatif durant cette période, où il souffre de divers maux. Grâce à un astucieux saut temporel, nous voici directement en 1914, année durant laquelle il commence la rédaction d'une chronique sur l'astronomie dans un quotidien de Providence, et surtout, il découvre et adhère à l'U.A.P.A. (United Amateur Press Association). Il ne quittera le monde du journalisme amateur qu'à sa mort. Enthousiasmé par tout ce petit monde, il décide de créer son propre fanzine. Le numéro 1 de The Conservative paraît le 24 mars 1915 et est édité à 200 exemplaires. Douze numéros suivront jusqu'en juillet 1923 (date de parution aléatoire). Dans son fanzine, Lovecraft parle de poésie, d'astronomie, ou encore de politique ou d'anthropologie. Sur ces deux derniers points, il soutient des idées qui font froid dans le dos. Il croît en effet à la supériorité de la "race aryenne", le fameux grand blond germanique aux yeux bleus. Si il défend cette pseudo-théorie (et il n'était pas le seul intellectuel à le faire à cette époque), c'est parce qu'il s'est gavé d'ouvrages de pseudo-anthropologie sur le sujet, et datant de la fin du XIXème siècle. Une partie de ces livres serviront d'ailleurs aux nazis... Rien d'étonnant donc si je vous annonce de Lovecraft a apprécié la lecture de Mein Kampf dès sa traduction. Sur le plan politique, il pense, comme bien d'autres, que le régime fasciste est le seul valable. Il croira presque toute sa vie à ces théories, et son séjour à New York n'arrangera rien comme nous le verrons plus tard. Heureusement, quelques années avant sa mort, il abandonnera toutes ces bêtises. Il deviendra plus tolérant et se raccrochera aux idées politiques de Roosevelt.
En 1916, Lovecraft continue son petit bonhomme de chemin dans le monde de la presse amateur, et en 1917, il rédige Dagon, une nouvelle longue d'environ 2300 mots. Dagon est à marquer d'une pierre blanche dans son oeuvre. En effet, d'une part elle pose les fondations du Mythe (Dagon : homme poisson géant qui sera réutilisé par les Profonds dans Le cauchemar d'Innsmouth, et l'action se déroule sur une île volcanique qui préfigure R'lyeh), et d'autre part, le modèle de narrateur servira pour beaucoup d'autres dans son œ ;uvre, c'est-à-dire qu'ils ont un fort côté autobiographique : célibataires, dépourvus de sens pratique... Dagon sera publié en novembre 1919 dans le fanzine The Vagrant. En juillet 1917, Lovecraft est élu président de l'U.A.P.A., tâche dont il s'acquittera parfaitement. Ce n'est pas un hasard si Lovecraft et le journalisme amateur sont très liés. En effet, il n'est pas un écrivain professionnel à proprement parlé, c'est à dire qu'il n'écrit pas pour de l'argent mais pour le principe de "l'art pour l'art", selon ses propres mots. De toutes façons, Lovecraft et l'argent n'ont jamais fait bon ménage, car il se considère comme un gentleman et dans sa conception (tronquée) du gentleman, ce dernier n'a pas à travailler pour vivre. Il lui suffit, par exemple, de profiter sur un héritage ou à partir de quelconques rentes. Pour en terminer avec 1917, à la mi septembre, Howard rencontre W. Paul Cook, l'éditeur de The Vagrant. Les deux hommes resteront de très bons amis. 1918 est encore une année importante pour l'écrivain qu'est Lovecraft, car il commence, à titre professionnel donc rémunéré, ses "révisions". Ces travaux de "nègre" l'occuperont presque toute sa vie, occultant l'écriture de textes plus personnels. Mais, on vit pas d'amour et d'eau fraîche et il commence à le comprendre.
L'année 1919 débute par la rédaction de Par-delà le mur du sommeil, une nouvelle plus prometteuse que réussie mais qui est la première à parler de ce que l'on nommera plus tard les "Contrées du Rêves". Le 13 mars, un événement achève les nerfs du pauvre Lovecraft. En effet sa mère, tout comme son père, est interné au Butler Hospital pour cause de troubles mentaux. Elle n'en sortira pas. Vus ces internements successifs, est-il étonnant de constater que les narrateurs de ses nouvelles soient souvent aux portes de la folie ? Apparemment non. On peut se poser la même question pour Lovecraft : était-il fou ? Contrairement à certains, je pense qu'il ne l'était pas. Sinon, il n'aurait pas pu discerner, dans ses œ ;uvres, santé mentale et folie. Un fou n'a pas l'impression d'être fou, sinon il lui resterait assez de lucidité pour se faire soigner. C'est d'ailleurs en partie pour cela qu'un criminel que l'on estime fou est interné. Mais je m'égare. Revenons plutôt à 1919, et plus précisément en septembre, car Lovecraft découvre l'écrivain britannique Lord Dunsany et ses romans fantastiques. Howard sera si ébloui par cette œ ;uvre, qu'il classera certains textes comme égaux voire supérieurs à ceux de Edgar Allan Poe, son écrivain favori de toujours. Pour Lovecraft, s'ensuit une série de nouvelles d'inspiration dunsanienne : Le bateau blanc (novembre 1919), La malédiction de Sarnath (même date)... Pour clore 1919, le 27 décembre, il rédige Le témoignage de Randolph Carter,une nouvelle de 2500 mots. C'est le premier texte ayant pour personnage principal Randolph Carter (qui n'est autre que Lovecraft). Les autres textes sont La Clé d'Argent (1926), A la Recherche de Kadath (1927) et A Travers les portes de la Clef d'Argent (1933) co-écrite avec Edgar Hoffman Price. Le témoignage de Randolph Carter sera publié en 1920 dans The Vagrant et en 1925 dans Weird Tales.
En 1920, Lovecraft a 30 ans, et depuis que sa mère est internée, il voyage de plus en plus. C'est d'ailleurs durant cette année que, pour la première fois, il dormira autre part que chez lui. Tous ces déplacements ont, au début, pour but de permettre à Howard de participer à différentes conventions de journalisme amateur, puis un peu plus tard dans l'année, il commencera à visiter le Nouvelle-Angleterre qui est si riche en architecture coloniale qu'il adore. Le 12 décembre, il commence une relation épistolaire avec Frank Belknap Long, écrivain et journaliste amateur. Les deux hommes resteront de très bons amis, et Lovecraft se rendra régulièrement chez les Long à New York. Sur le plan littéraire, 1920 est peu fertile. Il écrit diverses nouvelles fantastiques mineures : L'arbre, L'image dans la maison déserte (première fois qu'il cite Arkham), La rue... Un texte sort du lot : Nyarlathotep, un poème en prose où apparaît pour la première fois, sans appartenir au Mythe qui n'existe pas encore, le dit Dieu. En 1922, il écrira Azathoth une œ ;uvre dans le même genre, mais inachevée. Il se servira de ces deux textes plus tard, quand il aura réellement posé les bases du Mythe.
1921 aurait pu être la copie conforme de 1920. En effet, Lovecraft voyage de plus en plus, il participe activement au journalisme amateur. Mais, le 22 février, à Boston, il rencontre Mrs Sonia Greene, qui deviendra Madame Lovecraft en 1924. De plus sa mère décède le 24 mai à l'âge de 63 ans. Lovecraft sera bien évidemment très affecté par cette disparition, souffrance accrue par le fait que les liens avec sa mère étaient forts puisqu'il n'a pas connu son père. La même année, le Mythe de Cthulhu commence à se préciser de plus en plus puisque Lovecraft écrit la nouvelle La cité sans nom qui contient la première allusion à Abdul Alhazred et ses fameux versets :
Et au long des ères peut mourir même la mort
A noter que le Necronomicon n'existe pas encore. En septembre, il commence la rédaction de Herbert West Réanimateur un feuilleton en 6 épisodes commandé par le magazine Home Brew. Il en finira l'écriture vers la moitié de 1922. Cette nouvelle n'est pas la plus réussie sur le plan littéraire, il s'agit en effet d'un travail purement alimentaire. Ce texte, revisitant le Mythe de Frankenstein reste néanmoins assez plaisant à lire. Si il est connu aujourd'hui, c'est sans doute grâce à l'excellente adaptation cinématographique datant de 1985. Un détail intéressant puisqu'il s'agit du premier texte dont une partie de l'action se déroule à Arkham, ville célèbre pour son université.
Du 6 au 13 avril 1922, Lovecraft visite une ville qui l'intéresse fortement : New York. Etant féru d'architecture coloniale, il espère trouver là-bas quelques trésors. Il séjourne chez Sonia Greene et rencontre pour la première fois certains de ses amis épistolaires : Sam Loveman, F. B. Long, Reinhart Kleiner... Il semblerait que Lovecraft est bien aimé New York puisqu'il y retournera 3 semaines en septembre. Durant cette période, il rédige Le Molosse, le premier texte à mentionner le plus abominable des ouvrages blasphématoires : le Necronomicon de l'Arabe fou Abdul Alhazred. Petit à petit, le Mythe prend de la consistance dans son esprit. Il ne manque plus que les Grands Anciens qui feront une arrivée tonitruante en 1926. Mais pour l'instant Ils "dorment", mais "N'est pas mort ce qui à jamais dort". Pour en finir avec 1922, Lovecraft décide, à la mi-décembre, de visiter un peu la Nouvelle-Angleterre et plus précisément les villes de Salem (célèbre pour ses sorcières) et Marblehead, une petite ville balnéaire. Il se régalera de ces deux visites ne pensant pas trouver deux bourgades si magnifiques à ses yeux. Salem servira d'ailleurs de modèle aux futures descriptions d'Arkham et Marblehead deviendra, dans son œ ;uvre, Kingsport.
Sur le plan personnel, 1923 ressemble à 1922, mais pas sur le plan littéraire. En effet, en janvier paraît le premier numéro de ce qui deviendra l'un des pulps les plus réputés dans le domaine du fantastique : Weird Tales. Le premier texte de Lovecraft publié dans ce magazine sera Dagon, dans le numéro d'octobre. Ce sera le début d'une longue collaboration entre le magazine et notre auteur. Au début, il rechigne à faire publier ses textes, considérant que ces derniers ne sont pas bons. Mais, grâce à l'insistance de certains de ses amis (James F. Morton, Long en particulier, et bien d'autres), il acceptera quand même de les envoyer au rédacteur en chef de Weird Tales. Le même procédé sera utilisé sur chaque texte que Lovecraft enverra à ses amis pour qu'ils le dactylographient, cette opération étant un supplice pour notre auteur. C'est ainsi que, avec le californien Clark Ashton Smith et le père de Conan, le texan Robert Erwin Howard, que Lovecraft deviendra l'un des "Trois Mousquetaires" de Weird Tales. Smith et Howard deviendront des amis épistolaires de Lovecraft, et ils écriront des pastiches sur le Mythe.
A cette période de sa vie, Lovecraft effectue de plus en plus de travaux de "révisions" au détriment de sa carrière personnelle. Il compte bien vivre de ces travaux, mais ses prix sont dérisoires (? ; 0,10 cents/mots soit 1 $ les 1000 mots) et quand il ne fait pas payer parce que ce travail l'a captivé, il a bien du mal à recevoir son dû. En février 1924 Weird Tales lui propose une "révision", ou devrait-on dire l'écriture d'une nouvelle à partir de quelques idées, pour le compte du roi de l'évasion, le magicien Harry Houdini. Ce texte, intitulé Prisonnier des Pharaons relate une pseudo-aventure de Houdini dans de prétendus couloirs sous la Grande Pyramide de Gizeh. Ce travail rapportera 100 $ à Lovecraft, ce qui constitue pour lui à l'époque une petite fortune.
Pour conclure, la période 1913-1924 est déterminante pour Lovecraft puisqu'il commence réellement sa carrière d'écrivain et esquisse les prémices du Mythe de Cthulhu. De plus, il se fait un petit cercle d'amis qui lui resteront fidèles et qui l'encourageront à continuer ses efforts et ne pas abandonner l'écriture.
I) 3) Le gentleman se marie
Depuis 1921, Lovecraft ne cesse de voir Sonia Greene. Un amour naît entre eux, si bien que nos deux tourtereaux se marient le 3 mars 1924 à New York. A partir de cette date, Howard va résider avec sa femme dans la “Grosse Pomme”. Il s'agira de la plus grande erreur de sa vie. Sonia abandonne le poste qu'elle avait dans un magasin de prêt à porter féminin sur la 5ème avenue pour ouvrir, avec une amie, un magasin de confection de chapeaux dans la 57ème rue. L'affaire périclitera assez rapidement, non pas que les couvre-chefs qu'elles fabriquent soient laids, mais les tarifs pratiqués sont trop élevés par à rapport au revenu moyen de la population du quartier. Qu'à cela ne tienne ! Sonia ouvrira, seule, une autre boutique plus modeste dans Brooklin mais avec le même résultat. De son coté, Lovecraft cherche désespérément un emploi. Il espère un temps un poste de critique pour la revue littéraire The Reading Lamp, mais ne sera pas embauché. Fin juillet, il trouve finalement un emploi de commercial dans une entreprise spécialisée dans le recouvrement des impayés. Malheureusement, son manque d'expérience dans le domaine le force à abandonner au bout d'une semaine. Ce sera la seule fois que Lovecraft connaîtra le monde du travail. Par la suite, toutes ses recherches de jobs, même les plus modestes, seront infructueuses. Non pas qu'il soit à bon à rien, mais il manque cruellement d'expérience et de sens pratique.
Nous l'avons vu, les affaires de Sonia, qui sont les seules sources de revenus du couple, vont mal. En conséquence, cette dernière sombre dans une faillite bancaire entre le 20 et le 29 octobre 1924. Ses nerfs craquent, et elle doit être hospitalisée. Elle terminera sa convalescence dans une petite ferme près de Sommerville, dans le New-Jersey. Voilà donc Howard réellement seul pour la première fois de sa vie. En novembre, il rend visite à Sonia et en profite pour visiter la première capitale des Etats-Unis, Philadelphie. L'année se termine par un déménagement. En effet, le 31 décembre, Sonia liquide l'appartement du 259 ParkSide Ave. Et se rend à Cincinatti (Ohio) pour y travailler. Lovecraft lui emménage au 169 Clinton Street, en plein Brooklin, dans un appartement choisi et aménagé par sa tante.
Dans sa solitude, Lovecraft, ne peut que broyer du noir. Vivant dans un quartier où la population est à majorité immigrée, il fulmine contre ces "bâtards" ou ces "rats d'égouts", selon ses propres mots. Il y plusieurs raisons à tant de racisme et de xénophobie. Premièrement, nous l'avons vu, il croît dur comme fer au Mythe de la "race aryenne", toutes les autres "races" étant inférieurs. Deuxièmement, il est au chômage et ne supporte pas de voir les étrangers travailler alors que lui ne trouve rien, pas même le plus petit des jobs. Il vit donc dans la plus grande précarité et ne survit que grâce à l'aide financière de sa femme et de tante Lilian.
1925 commence plutôt bien, puisque le 15 janvier Lovecraft est l'invité personnel de Houdini à l'ouverture de son spectacle. A cette occasion, le célèbre magicien demande à notre auteur de rédiger, avec Samuel Loveman, les trois premiers chapitres d'un essai intitulé Le Cancer de la Superstition, malheureusement Houdini mourra avant de concrétiser le projet. A la mi février, Sonia revient à New York pour occuper un emploi dans la confection de chapeaux. Elle repartira fin mars pour Saratoga Springs (...) où elle à trouvée un travail de gouvernante. En mars, James Morton est nommé conservateur d'un musée à Paterson (New-Jersey) et essaie d'obtenir un poste pour Lovecraft mais sans y arriver. L'inactivité de Howard est relative, il doit tout de même s'occuper de son abondant courrier, lui permettant de visiter Washington D.C. Durant le mois d'avril.
Tout les amis de Lovecraft affirment que, à cette époque, il était tout à fait normal, ce dernier en bon gentleman ne laisse pas transparaître ses émotions. Pourtant, depuis le départ de Sonia, Howard va mal. Il devient plus en plus dépressif et misanthrope. De plus ses défauts (manque de pratique, passivité, habitude de gaspiller son temps et son talent...) s'aggravent. Un événement vient l'achever : le 24 mai, des cambrioleurs s'introduisent chez lui et volent la plus grande partie de sa garde-robe, dont plusieurs costumes neufs, et le poste de radio de Loveman qui était son voisin. En bon gentleman, il semble prendre la chose avec sérénité, mais fulmine dans la correspondance avec ses tantes. Le reste de l'année est sans histoire : Sonia rentre à Brooklin le premier juillet et repart le 20 août pour Cleveland (Ohio). Il visite Elizabeth Town (New-Jersey) 13 août... Sur le plan littéraire, il écrit Horreur à Red Hook en août et Dans le Caveau, un petit conte fantastique sans prétention, en septembre.
En guise de conclusion, voici la période la plus désastreuse de la vie de Lovecraft : un drôle de mariage (quand on fait le compte, Howard et Sonia on vécu peu de temps sous le même toit), une crise financière et New York, qui a bien faillit envoyer Lovecraft à l'asile. Pour éviter le pire, Lovecraft doit prendre une décision, et il ne tardera pas à le faire.
I) 4) Le gentleman de Providence : Le Retour
1926 est sans aucun doute l'année la plus importante dans la vie de Lovecraft. Elle est importante sur le plan littéraire et sur le plan personnel. En janvier, à la demande de W. Paul Cook, qui veut éditer un nouveau fanzine intitulé The Recluse, il commence la rédaction de Epouvante et Surnaturel en Littérature. D'abord d'une taille relativement courte, cet essai ne cessera de grossir pour atteindre environ 30000 mots, le plus long texte que Lovecraft ait écrit jusqu'alors. C'est un très bon essai retraçant l'histoire de la littérature fantastique depuis l'antiquité romaine jusqu'au XXème siècle. Aujourd'hui, la consécration est là car l'article sur le fantastique de l'Encyclopédia Universalis (éd. 2002) cite ce texte comme source consulté à la rédaction de l'article : preuve de la qualité du travail de Lovecraft. En avril, n'attendant plus de réponse de la part de Morton pour aller travailler à Paterson, Lovecraft décide enfin de quitter New York. Le 17 avril il rentre à Providence, où il emménage avec sa tante Lilian au 10 Barnes Street. Après presque deux ans à New York, il retrouve enfin ses racines et dit même : "Il n'y a pas d'autres monde pour moi. Mon monde est Providence", preuve de l'attachement de notre auteur pour la vielle cité coloniale. Son retour fait même cesser sa dépression.
En mai de la même année, Sonia vient rendre visite à Lovecraft et lui propose, ainsi qu'à ses tantes, de louer une grande maison où tout le monde pourrait vivre, mais ces deux dernières refuseront, n'acceptant pas que ce soit une femme qui fasse vivre la famille dans une ville où ils ont une réputation à tenir. Depuis son retour, Lovecraft redécouvre peu à peu la vie, et en juin, il reprend ses longues promenades solitaires dans Providence. Il s'acquitte même d'une terrible épreuve puisqu'il dactylographie Epouvante et Surnaturel en Littérature que Cook publiera en 1927. En août, un jeune écrivain ambitieux entreprend une correspondance avec Grand Papa (un des nombreux surnoms que Lovecraft s'était donné). Il s'agit de August Derleth. Même si ses textes ne sont, à mon avis, pas très bon (je ne débattrai pas ici de la vision du Mythe selon Derleth), il créera avec Donald Wandrei, un autre ami de Lovecraft, aprés la mort de ce dernier, Arkham House, la future maison d'édition entièrement dévouée à la publication des textes du Maîtres et de ses disciples. C'est grâce aux efforts de Derleth que l'oeuvre de Lovecraft a survécu jusqu'à nous et que vous pouvez jouer à L'appel de Cthulhu. Son travail sera donc primordial.
Depuis Le Festival en 1923, Lovecraft n'a rien écrit sur le Mythe. Il rédige donc pour se faire pardonner Le Descendant, une courte nouvelle dans laquelle nous apprenons que seulement cinq exemplaires du blasphématoire Necronomicon ont survécu jusqu'à nous. Ce texte reste néanmoins anecdotique avec ce qui vient. En effet entre août et septembre (nous sommes toujours en 1926), il pose une pierre angulaire (en géométrie non-euclidienne) au Mythe puisqu'il rédige L'Appel de Cthulhu. Je ne reviens pas sur le texte lui-même, mais plutôt sur ce qu'il a apporté :
-Primo, un point commun aux textes antérieurs : les Grands Anciens.
-Secundo, la base des histoires à venir : la lutte de l'humanité contre Leur retour.
-Tertio, une dimension cosmique à son oeuvre, révolutionnant ainsi le récit d'épouvante.
Deux détails intéressants : Lovecraft n'a jamais utilisé le terme de Mythe de Cthulhu mais plutôt les néologismes "Cthulhuismes" ou "Yog-Sothoteries". De plus, Lovecraft avait horreur des fruits de mer. Est-il étonnant, alors, de trouver la plus grande abomination au fond de l'océan ? Il enverra le texte à Weird Tales en octobre mais sera refusé par le rédacteur en chef car "trop lent et obscur". On peut aussi expliquer ce refus car le texte est trop novateur et donc pas assez rentable pour le magazine. Néanmoins, durant l'été 1927, Weird Tales redemandera le texte à Lovecraft qui sera payé 175 $, son plus gros cachet à l'époque. L'Appel de Cthulhu sera publié dans le numéro de février 1928. Enfin, la parution de L'Appel de Cthulhu marque le début d'une longue série de textes, écrits par des amis et des admirateurs de Lovecraft, mettant en scène le Mythe. Parmi tous ces jeunes auteurs, citons Frank Belknap Long, Clark Ashton Smith, Robert Erwin Howard, August W. Derlerth, Robert Bloch..., et la liste continue encore aujourd'hui de s'agrandir. Précisons que c'est Long, très proche de Lovecraft à l'époque qui ouvre le bal avec Les Mangeuses d'espaces (juillet 1928).
Depuis son retour de New York, Lovecraft se remet à écrire et hormis L'Appel de Cthulhu, il rédige en 1926 : Air Froid (octobre), une petite nouvelle fantastique très inspirée par Poe, L'Etrange maison haute dans la brume (novembre), une nouvelle rattaché au Mythe donnant des précisions sur la ville de Kingsport, introduite dans Le Terrible vieillard (1920) et décrivant les incursions de la divinité Nodens dans une maison située sur un python rocheux à proximité de la ville. En novembre, il commence également la rédaction de A la recherche de Kadath, un court roman (? ; 38000 mots, il s'agit en fait d'une nouvelle selon les critères de l'édition anglo-saxonne) appartenant au cycle onirique et narre les pérégrinations de Randolph Carter à la recherche de la mythique ville de Kadath, c'est Nyarlathotep lui même qui lui donnera la clef de l'énigme. Il est intéressant de noter que Lovecraft rangera ce texte dans ses tiroirs. La version que nous connaissons n'est donc qu'un premier jet, ce qui explique certains de ses défauts. Il en terminera la rédaction en janvier 1927. Il rédige également, toujours en 1926, La Clé d'argent, une nouvelle onirique nettement moins bien réussie que A la recherche de Kadath, et Le Modèle de Pickman, un texte sur mesure pour Weird Tales.
Voilà pour cette année charnière qu'est 1926, durant laquelle, Lovecraft sort de son "hibernation" new-yorkaise et revient sur sa "Terre Promise" : Providence. C'est donc tout pour aujourd'hui. La prochaine fois nous aborderont les dix dernières années de sa vie. Nous y parleront de son divorce, de ses voyages et de son oeuvre. A la prochaine, et surtout, n'oubliez pas d'apprendre tout ce que je viens de dire ! !